Blanchard, la passion éternelle de lire

samedi 26 décembre 2015, par Élizabeth Legros Chapuis

Éditions du Dilettante, septembre 2015

Voici un livre dont la lecture m’a enchantée, avec une pointe de regret, celui de n’avoir pas découvert plus tôt les carnets d’André Blanchard, dont l’ultime volume, Le reste sans changement, vient de paraître. Ultime, car l’auteur est mort en septembre 2014, à Vesoul où il était gardien de la galerie d’art municipale. Une douzaine de carnets ont été publiés depuis le premier, intitulé Entre chien et loup, paru en 1989.

Ils se composent de notes parfois datées, mais le plus souvent non ; des notes brèves, deux pages au maximum, en règle générale deux ou trois par page. Blanchard y parle peu de sa vie personnelle ; il souligne d’ailleurs : « Dans les premiers volumes de mes Carnets, j’ouvrais mes colonnes à mon moi. Cela m’a passé. » Désormais ses notes portent essentiellement sur ses lectures – ou réminiscences de lectures – et nous apportent ses réflexions sur la littérature, la société, la politique. Toutefois, ils constituent aussi le journal de sa mélancolie chronique (que, en bon lecteur de Baudelaire, il appelle aussi spleen) : il se plaint de sa mémoire, qui ne lui apporte pas ce qu’il cherche, mais où « est disponible, en overdose, ce que le spleen sait fournir comme poisons ».

« Le Blanchard est un écrivain bisontin devenu vésulien que les hasards de la vie ont élevé au rang de sentinelle », écrivait Jérôme Garcin en 2011 dans le Nouvel Obs. Sentinelle, car il est sans cesse à son poste d’observation, et prompt à relever les travers, petits ou grands, de notre temps, glissant dans ses carnets « entre deux saillies, de noirs aveux qu’il habille d’aphorismes » (ibid.).

La lecture a été sa grande affaire, même quand il constate que « si dans les livres étaient les réponses, la littérature serait depuis longtemps achevée ». Celle-ci reste toute-puissante : « C’est le privilège en quelque sorte régalien de la littérature, qu’elle puisse nous sauver du désespoir ou nous y plonger ».

On trouvera ainsi dans ce volume de multiples références à Léautaud, Zola, Julien Green, Charles Juliet, Katherine Mansfield, Flaubert, Barrès, Philippe Muray, Proust, Régis Jauffret, Richard Millet (qualifié de « plus grand écrivain français vivant »), Mauriac, encore Flaubert, Sainte-Beuve, Musset, Baudelaire, la Bible, Balzac, Guy Debord, Starobinski (pour son livre sur la mélancolie, naturellement), Jean-Louis Curtis, deux fois Claudel (et Paul, et Philippe), Nietzsche, Alexakis (pour son roman L’Enfant grec), Quignard, Régis Debray, Houellebecq... et j’en passe. Pour ce qui est de Millet, Blanchard ne fait pas l’impasse sur ses professions de foi hasardeuses, mais met en avant ses qualités de prosateur.

Celui qu’il met au pinacle, c’est Flaubert, l’« incomparable » – et d’ailleurs la toute dernière note porte sur Madame Bovary. Blanchard n’est généralement pas tendre avec les écrivains contemporains (sauf Millet), se fait un plaisir d’épingler les bourdes des uns et des autres. Il déplore également le vocabulaire des politiques et fustige les nouveaux tics de langage, par exemple l’usage du verbe « échanger » sans complément. Son interprétation : « L’acte d’échanger est plus important que ce qu’on échange. » Il tire à boulets rouges sur les FRAC, qu’il connaît de près, et sur l’Éducation nationale.

Blanchard craint parfois de se répéter. « J’ai tout déjà dit depuis vingt-cinq années, sur la société, la gauche, les crapules du haut en bas, l’école, l’art contemporain, les m’as-tu-vu, et moi là au milieu, sinistre en diable, le mea culpa en béton. » Et de conclure : « Durer ne va pas de soi. » Même si « rester en vie, c’est faire du zèle »...

Quant à moi, il ne me reste qu’à chercher les précédents volumes des Carnets...