Constance Debré : Nom

dimanche 14 août 2022, par Bernard Massip

Flammarion, 2022

Le titre claque de toute la force de sa syllabe unique. Et, dès qu’on l’entend, on ne peut s’empêcher de penser immédiatement à son homophone : non.

Le récit justifie pleinement cette association. Car c’est d’abord une succession de refus qu’il exprime. Il s’agit de s’éloigner de tout ce qui, à partir des appartenances d’origine, enferme : les héritages matériels comme moraux d’une famille prestigieuse de la grande bourgeoisie d’état, les révérences, les habitudes, les bonnes manières, la famille, l’enfance. Il faut quitter toute cette « folie » de la quotidienneté bourgeoise (qu’au demeurant les pauvres partagent), tout ce que l’auteure appelle « la vie lamentable ».

La jeune fille de bonne famille a suivi un cursus habituel dans son milieu. Bonnes études au lycée Henri IV, suivies de la faculté de droit, jusqu’à une brillante réception au barreau et un début de carrière comme pénaliste dans un cabinet prestigieux. Et elle a trouvé un époux et a eu un fils.

Mais cette vie n’est plus la sienne au moment où elle écrit ce récit. Elle a renoncé à sa profession d’avocate pour se consacrer pleinement à la littérature, elle a quitté fils et mari et trouvé ses plaisirs dans les bras d’autres femmes, elle s’est défaite de ses boucles féminines et chaque semaine se rase les cheveux à la tondeuse. D‘une femme est née une autre femme.

Il faut se débarrasser de toute l’histoire que l’on porte, se détacher de tout, ne pas s’attacher à nouveau, pas plus à des lieux qu’à des personnes. Elle se dit « fille sans aveu » au sens de l’ancien code pénal, qui punissait de prison ceux qui n’ont rien de fixe, ni famille, ni domicile, ni travail. Elle renonce à son petit studio, squatte d’appartements en appartements, passe de bras en bras. « Quand je pars, quand je quitte une chambre, un quartier, des habitudes de trois jours, ou bien une fille, ça me déchire, à chaque fois ça me déchire pareil ». Mais c’est comme ça, elle ne peut faire autrement, entre « la vie calme et l’aventure », elle a choisi, « il suffit de se souvenir que l’on a choisi ».

Son histoire passée pourtant est là, elle ne la lâche pas. Le temps de son récit est celui de la dernière maladie de son père qu’elle accompagne avec tendresse et compassion. Second fils de Michel Debré, l’ancien Premier ministre du Général de Gaulle et principal rédacteur de la constitution de 1958, François Debré est né en 1942, a été reporter de guerre, journaliste et écrivain. Il a vécu des amours intenses mais tourmentées avec Maylis Ybarnegaray, issue d’une vieille famille basque aristocratique ruinée, qui est devenue mannequin. De ses voyages il a rapporté l’habitude de l’opium, qui deviendra celui de l’héroïne, partagée avec sa femme. « Après une énième séparation, ils se sont rappelés, ils ont décidé de se marier, d’avoir un appartement, une famille, un enfant. Je suis née. » La petite fille puis la lycéenne vit dans ce foyer déglingué mais est très souvent accueillie chez le grand-père quand cela va trop mal à la maison. Après des années et des années entre séjours hospitaliers et cures et thérapies diverses mais inefficaces, François vit dans la maison familiale de Montlouis en Touraine et souffre d’un cancer de la langue. Elle va le voir, discute avec lui, lui porte des douceurs dont il peut encore profiter, l’accompagne à l’hôpital et met la main, lorsqu’il s’agit de lui administrer ses « bolus » de sédatif et de morphine. « En septembre mon boulot c’est la mort de mon père ».

Pour s’aérer entre ses moments de présence à l’hôpital, elle marche, fait du vélo et nage surtout, deux kilomètres d’affilée en crawl ne lui font pas peur. Dans le même temps, elle a rencontré une nouvelle compagne, Camille. Elles se voient à Tours, à Paris, à Arles où Constance bénéficie pendant plusieurs mois d’une résidence d’écriture. « Le mot amour, bien sûr, n’est jamais prononcé » mais la relation perdure, s’approfondit. Serait-ce l’aube d’un attachement pour celle qui les refuse ?

A une terrasse de café elle rencontre un ancien taulard, un homme qui avait assassiné une vielle femme, sans trop savoir pourquoi, et qu’elle avait défendue. Il a des envies de départ au loin quand sa conditionnelle sera terminée et lui demande ce qu’il faut faire. Et elle lui répond, c’est pour lui, mais sans doute aussi un peu pour elle : « Je ne sais pas, je n’en sais rien, partir, recommencer. »

Le texte est écrit presque exclusivement au temps présent, il est fait de phrases courtes, hachées, comme des cris, même si ce sont parfois des cris doux, comme chuchotés. C’est un style simple mais qui contribue à conférer au récit son émotion et à le rendre intensément présent pour le lecteur.